La Crise du PPA-MTLD en 1954 (Messalistes vs. Centralistes): Comprendre la plus grande crise du mouvement national algérien |
4- Message de Messali Hadj au Bureau Politique en Août 1954
Nous venons de sortir d’une crise que le Mouvement National Algérien n’a jamais connue. Tous nous avons gouté de cette amertume et de toutes les difficultés qui par moments ressemblaient à des vagues étouffantes. Grâce à Dieu et à la volonté de tous nous venons de remporter une victoire bien méritée.
Le Congrès qui vient de se tenir a couronné de succès tous les efforts qui ont été fournis par les militants grands et petits attachés aux principes révolutionnaires et aux traditions du Mouvement National Algérien.
Aujourd’hui c’est pour la première fois après le Congrès extraordinaire que le Bureau Politique vient de se réunir. C’est là une occasion magnifique pour moi d’abord de lui adresser mes souhaits de réussite et ensuite l’accomplissement avec grands succès de la tâche à laquelle il a été désigné.
Je ne pense pas qu’il faille retourner en arrière pour regarder le passé mais au contraire, je préférerai pour nous tous de nous rappeler de l’époque que nous venons de vivre au cours de la crise, la tenue du Congrès extraordinaire, les résultats qui en ont découlés et des décisions qui ont été prises après les débats, les discussions et les analyses.
Nous devons savoir que nous sommes chargés les uns et les autres d’une immense responsabilité à la fois lourde et pleine de noblesse.
Tous les militants de France, d’Algérie, de Belgique, du Caire et le peuple Algérien regardent vers ce Bureau Politique et le travail que nous allons faire.
Nous sommes pour le peuple Algérien l’espoir et l’avenir. Il vient par la tenue du Congrès extraordinaire de déposer en nous sa confiance, sa volonté, son esprit de sacrifice pour réaliser ses aspirations nationales.
En conséquence, nous devons faire en sorte que toutes nos activités, nos réunions et nos différentes occupations tendent vers ce but suprême : la Libération de l’Algérie.
Cela nécessite en premier lieu que le BP organe suprême du Mouvement National Algérien et dépositaire de la volonté populaire soit animé d’un esprit d’équipe où la collaboration harmonieuse de tous ses membres soit absolument indispensable.
Chacun de ses membres prendra une responsabilité qu’il devra effectuer avec un soin et le souci de tous les instants. Rien ne doit être fait à la légère et aucune chose ne doit être sous estimée.
Chacun des membres, après avoir assuré, contrôlé, pensé et animé son service, doit participer à la réunion du BP pour vivre la vie du Parti et être au courant des services avoisinants.
Le BP ne doit pas oublier un seul instant que le chef du parti à qui le congrès vient de voter la confiance et les pleins pouvoirs est responsable de toute la vie du Parti devant Dieu, devant les militants, devant le peuple Algérien et devant sa conscience.
C’est là une charge extrêmement lourde et très noble en elle-même. Cependant elle engage son prestige, toute sa personne et tout son passé politique.
Cela personnellement ne me fait pas peur et je sais parfaitement que les hommes qui vont diriger le BP sont animés du même esprit, de la même volonté que le chef du parti.
Eux qui ont combattu ces derniers mois pour sauver le MNA de la honte et la déviation, savent que la tâche qui nous attend tous est extrêmement grande, délicate et sérieuse.
Mais étant donné que vis-à-vis des militants et du peuple Algérien je suis le premier responsable qui devra demain donner des comptes sur la marche du parti, la défense des intérêts et la protection de ses finances, je me vois aujourd’hui dans l’obligation de m’adresser à chacun des membres du BP pour lui dire d’une manière particulière de veiller jalousement à la bonne marche de son département.
Tous ses services doivent fonctionner et converger vers le même but avec méthode, harmonie et progrès constant.
Rien ne doit être négligé, ni dissimulé. J’insiste pour que toutes les choses doivent être au contraire tirées au clair et examinées avec le souci constant de les clarifier et de situer en même temps les responsables et les responsabilités.
L’argent du parti est bien sacré. C’est aussi la transpiration des ouvriers, le produit d’un dur labeur dans les usines où l’ouvrier algérien donne sa santé, ses poumons et bien souvent sa jeunesse et sa vie.
Chaque fois que l’un de nous manipule cet argent il doit penser à cela, de même qu’il doit penser au spectacle plein de tristesse que vient de nous offrir les hommes de la bureaucratie qui ont durant des mois dilapidés les biens du peuple algérien en valsant les millions au profit de leurs privilèges, de leur plaisir et de leurs amusements.
C’est pour toutes ses considérations que je demande d’une façon particulière au trésorier général de veiller jalousement sur les fonds et les biens du parti.
A cet effet, une comptabilité où figure clairement et nettement toutes les recettes et dépenses du parti doit être établie et un contrôle rigoureusement exercé.
Il va sans dire que toutes ces recommandations s’adressent à tous les services du parti : ORGANISATION, AFFAIRES EXTERIEURES ET RELATIONS, AFFAIRES ISLAMIQUES, ELUS, JEUNESSE, AFFAIRES SYNDICALES etc…
Le secrétaire général, responsable directement devant le chef du parti, doit veiller, non seulement à la bonne marche, d’une façon générale, mais faire en sorte que ces services fonctionnent dans une pleine harmonie et une coordination méthodique et réfléchie.
Le BP pour gagner le prestige et pouvoir diriger le parti avec succès et considération doit faire preuve vis-à-vis du CNR d’une grande activité organisée et parfaitement étudiée avant de soumettre ses rapports à ce dernier.
Aucun problème, aucune question ne doit être soumis au CNR avant d’être étudié d’une manière sérieuse et objective.
C’est l’analyse, l’examen attentif et la critique des problèmes qui conditionneront le prestige du BP et son ascendant sur le CNR et le parti lui-même.
Les membres du BP devront être, vis-à-vis du CNR et des militants eux-mêmes, une attitude basée sur la fraternité, la modestie et l’esprit d’entente et de collaboration.
C’est ce comportement qui peut augmenter le prestige du BP et renforcer sa position au sein des masses populaires et des militants.
Notre conduite en tant qu’hommes libres et notre observation des principes islamiques doivent présider à l’accomplissement de notre mission.
Il est certain que je n’ai pas à faire de telles recommandations aux membres du BP, sachant parfaitement leur volonté ardente de servir la cause algérienne et d’être en même temps un exemple vivant et permanent pour tout le parti. Mais je crois qu’il est de mon devoir de rappeler ces recommandations surtout en ce moment où nous entreprenons une nouvelle étape de la lutte après notre révolution.
En un mot, je souhaite de tout mon cœur que tout ce que nous ferons à partir de la désignation des organismes dirigeants soit grand, clair, net et suffisamment étudié pour servir la cause Algérienne.
Ceci dit, en toute fraternité, il emporte maintenant de préparer pour nous tous un programme d’actions immédiates et d’aller de l’avant.
Tout d’abord, il faut nous rappeler que voici près de 6 mois que nous luttons pour sauver le parti de la déviation et de la mauvaise politique de la bureaucratie. Nous avons critiqué cette politique preuves en main. Il va sans dire que la politique de la nouvelle direction doit être au contraire conforme à la ligne du parti et aux décisions prises par le Congrès extraordinaire et tenir compte de la situation internationale et des évènements du Maghreb Arabe.
A cet égard, il importe que l’œuvre de redressement et d’épuration du parti soient achevés convenablement et dès que possible.
Sur le plan intérieur, nous devons aussi tôt après la désignation des organismes dirigeants reconsidérer notre politique électorale. Celle-ci devra être conforme aux principes révolutionnaires et s’inspirer des rapports déposés par le chef du parti devant le Congrès extraordinaire.
D’autre part, il faudra reconsidérer aussi la politique d’union en situant toutes les responsabilités et les responsables qui ont amené à la fois la naissance et la mort du Front Algérien. A ce sujet, la vérité sera dite aux militants et au peuple Algérien au moment opportun.
Par ailleurs, des directives sous forme de circulaires doivent être envoyées à toutes les kasmas au sujet de l’amnistie, en vue de procéder à un regroupement général de tous les militants sincères et honnêtes qui vivent en marge du parti.
Le cas des élus exclus par le parti devra être étudié pour lui trouver une solution conforme à la discipline du parti.
Les affaires islamiques, les affaires syndicales et la jeunesse devront faire l’objet d’une étude pour procéder à la fois à leur épuration et à leur réorganisation sur des bases solides et conformes aux décisions du Congrès extraordinaire.
Le problème de la femme sera également étudié avec soin. La femme Algérienne doit effectivement participer d’une façon active à la lutte pour la libération du pays.
Etant donné la délicatesse et la fragilité de ce problème, il importe de l’aborder avec beaucoup de prudence et de précautions car le passé de l’AFN est suffisamment vivant dans la pensée du parti pour nous inciter à lui accorder toutes la considération voulue.
Pour faire face dignement et efficacement aux perspectives d’avenir, il y a lieu de créer dès que possible une école de cadres pour l’éducation et la formation politique de futurs responsables et dirigeants.
Vu son importance sur le triple plan politique, diplomatique et stratégique, la Fédération de France doit subir dans les plus brefs délais une transformation conforme aux rapports du chef du Parti, rapports qui ont été lus aux Congrès extraordinaire.
Pour assurer la défense de nos détenus, de leur vie et celle de leur famille, le CSVR devra être à la lumière des évènements réorganisé sur des bases nouvelles.
Sur le plan EXTERIEUR, il y a lieu de créer ce département conformément aux perspectives d’avenir arrêtées par le Congrès sur le rapport du Chef du parti.
Etant donné l’importance de ce département et tenant compte des évènements du Maghreb Arabe et au développement de la situation internationale, celui-ci devra s’organiser de façon à faire face aux perspectives d’avenir et au commencement de l’internationalisation du problème algérien.
Attendu que le problème algérien va être porté en septembre 1954 devant la commission des tutelles des Nations Unies, ce département est tenu avec l’accord du chef du parti et le BP de préparer un plan d’action susceptible de favoriser cette internationalisation en Algérie, en France, en Belgique et à l’étranger.
Ce travail d’internationalisation étant déjà commencé doit s’étendre à l’ensemble du parti et entraîner les passes populaires et le peuple algérien.
Toute l’activité des différents services devra d’une manière méthodique et harmonieuse participer activement à cette internationalisation.
L’Union Nord Africaine étant la pierre angulaire de la solution du Maghreb Arabe elle doit être entreprise dès que possible en tenant compte du passé et des expériences nouvelles marocaines et tunisiennes.
Ce département ne négligera rien pour étudier des rapports nouveaux et efficaces entre le MNA, les partis politiques et le peuple Français d’une part et les Mouvements nationaux de tpous les peuples opprimés et nouvellement libérés d’autre part.
Sur le plan intérieur et extérieur, le parti doit être présent partout en restant lui-même conformément à ses traditions et à ses principes révolutionnaires.
Etant donné la répression qui sévit en Algérie, les évènements du Maghreb Arabe et le développement de la situation internationale, le BP est tenu de créer un service de sécurité pour assurer la bonne marche du parti, la sécurité des dirigeants et des militants en cas d’une grande répression ou dissolution du parti.
Le secrétaire général est tenu d’extraire des indications précédentes un plan d’action qui doit être étudié au BP pour sa mise en application.
Dans le cas ou certaines choses sont oubliées, la porte reste ouverte pour les ajouter au cours de son examen.
L’analyse et l’examen peuvent également démontrer la nécessité de certaines modifications ou amendements.
Il y a lieu de considérer ce plan d’action comme un début d’internationalisation du problème Algérien en attendant d’en étudier l’application, ses premiers résultats en vue de procéder à l’examen d’un deuxième plan conforme aux décisions du Congrès d’Hornu.
Messali Hadj
Niort, le 2 Aout 1954